Loneliness

Loneliness

dimanche 18 mai 2008

ELLE (3)


Les reflets d’une histoire, jamais n’offrent cette sensation de continuité que l’on ressent dans le vécu des jours ; les reflets se glissent au creux du front, loin derrière le regard, comme un cœur palpitant qui zoomerait la mémoire. La tendresse afflue sous tant d’images des hier lointains, disparus en apparence et pourtant toujours furtivement, présents.

C’est ainsi qu’ELLE s’apparaît…sur un aspect passé participant du présent…quelques notes sur une portée musicale, sans l’oubli des silences ; quelques notes, diffusées en gouttes de couleurs et de sons, imagerie à puissance variable, évolutive, légère ou dense, à la ressemblance du réel…

… et la voici, fluette, longue… « mollets de Coq » la surnommait son père… mais déjà sous l’œil frontal se présente la noce étrange des grands-parents. Ils semblent heureux, entourés de deux témoins ; la petite ELLE les accompagne, sourire déployé jusque l’arcade soyeuse de ses sourcils. Emotion inénarrable, dans sa jolie robe lavande… Exceptionnelle demoiselle d’honneur », lui a dit sa grand-mère.

L’attente s’allonge sur ses minutes intarissables, ELLE, s’impatiente, se pose ici, se pose là, se tourne et se retourne tel un chaton aux aguets prêt à sauter sur une ombre. Elle s’impatiente avec au regard un désespoir inquisiteur qui gomme le sourire de l’instant précédent.
Un hoquet étranglé de larmes se fait entendre et laisse jaillir presque en un cri de rage, un péremptoire… Je veux me marier !
Geste tendre, en espoir d’apaisement, le témoin de la future mariée se voit lancer un regard d’une fureur assassine ; au-delà de l’arcade que n’abrite plus la joie, un orage se dessine et trace une ride sévère au front d’ELLE, qui s’écrie :
« Tatie prend un autre grand-père…c’est que « le mien » m’attend, là, derrière la grande porte. »
Un vent glacé se plaque aux visages des futurs époux sur une seconde qui s’éternise, puis se rompt en éclats de rire.
Sourires douceur, caresses lentes et chaleureuses, ELLE s’accroupie, sa jolie robe enserrant ses genoux, tête baissée, elle boude un tantinet.

La grande porte de la salle des mariages s’ouvre enfin, une femme enjoint à tous de s’avancer. ELLE se lève, s’élance, agrippe la main de Tatie… son regard s’éclaire, elle le sait, elle le sent, son papy Marc est là, il l’attend… et Tatie deviendra « sa » demoiselle d’honneur…
L’œuvre mouvante et expressive des émotions insolites de l’enfant, modifie à nouveau son regard. Les yeux, comme voilés, s’assombrissent.
Un reflet d’inquiétude frise d’un tremblement la paupière. Tandis que s’écoule en un murmure inaudible à la petite fille, le discours que marmonne l’homme à l’écharpe, ELLE cherche et ne trouve pas l’Amour de sa vie, ne voit plus, n’entraperçoit plus le visage du grand-père bien aimé.
Soudain, comme un cabri se libérant de la corde qui le tenait prisonnier, ELLE s’échappe de la chaise où l’on avait assise, la sermonnant en réclamation de sagesse.
ELLE, s’élance au devant du maire, puis comme sidérée, quasiment tétanisée, fixe l’homme ébaubi qui s’essaie un visage amusé.
Irrationnel instant… l’enfant entonne, d’une voix gracile cependant claironnante, une suite chantante de Oui, oui, oui, déclaration inattendue assortie d’un franc sourire sous les deux magnifiques yeux brun vert étincelants de bonheur.
C’est un véritable chant d’allégresse, pétrifiant de surprise l’assemblée spectatrice qui, finalement, s’esclaffe.
Les fous rires dans la salle ne la dérangent pas.
ELLE murmure, se dessinant un petit air patelin… mon bien aimé est là… je le savais, je le savais bien ! Puis elle retourne s’asseoir, paisiblement, laissant la cérémonie suivre son cours.

Aucune des personnes présentes, grands parents, témoins, maire ou adjointe n’ont véritablement perçu ce qui se manifestait dans le cœur esprit de la petite fille. Le temps, ce monde, en lequel toutes les sensations s’objectivent, leur avait dérobé la réalité.
L’espace du cœur se révèle d’une telle vastitude que seul, un enfant ne s’effraie pas, ose y poser un regard sans crainte et l’ouvre ainsi aux possibles de l’attention seconde.
Méfions-nous de l’eau qui dort, annonce un ancien dicton… la grand-mère aurait du s’en souvenir. L’étrange petite fille est coutumière des rêves éveillés qui traversent son vivre.

Au lendemain de ses noces subtiles, ELLE, se traîne, descend péniblement de sa chambre, ses longues jambes, atrocement cotonneuses lui font mal. Tatie découvre le malaise au visage pâle de l’enfant, gravit rapidement les marches, juste à temps pour maintenir de ses bras la petite fille qu’une toux rugueuse déséquilibre.
ELLE, brûlante de fièvre semble épuisée. Son regard s’embrume, elle ne supporte plus la lumière, un nouvel accès de toux l’évanouit…

Ce n’est que la rougeole, a dit le médecin.

… Le corps, cet étrange et extraordinaire automate, ne sait encore que répondre en douleurs et souffrances, aux assauts de l’irrationnel…

4 commentaires:

Marie a dit…

"Les grandes personnes sont décidément bien bizarres..."

Ils sont sortis de ce merveilleux espace-temps où Elle se meut, aime, vit, souffre.

Son jeune corps est le réceptacle encore trop fragile pour ce trop-plein d'émotions. Elle apprendra, plus tard...

La grande personne ne décèle qu'une maladie bénigne.
Que peut-elle dire de plus: elle ne participe plus du monde de pureté.

Très tendrement, Mutty.
Merci pour cette pureté partagée.
Marie

Guelum a dit…

Cela danse dans sa tête, cette confusion est bien rendue - étrange d'ailleurs ce mot qui devrait signifier "fusion avec" sans impliquer forcément un désordre, mais l'émergence d'un état nouveau ; ou peut-être ici "confondre" tant on la sent s'effondrer à en être malade.
Cet Amour filial, dans ce cadre d'un "mariage" dépasse ce qu'on pourrait qualifier de lubie, tant l'intensité se ressent; un Amour profond qui n'a rien d'un jeu.
Dans cette scène, bonheur et chagrin confondus... Merci pour ce partage d'émotions.
Bises

MUTTI a dit…

Merci à toi, chère Marie, pour ton approche sensible de la petite Elle... Je te révèle un petit secret...chut... je crois bien qu'Elle n'a rien appris !
Bien tendrement.

MUTTI a dit…

"Cela danse dans sa tête"... Elle, adorerait ton expression, Guelum, et je suis certaine que, grandissant, prenant de l'âge, Elle fera en sorte que la danse dans sa tête, soit un menuet d'Amour pour la Vie... ce sera sa raison d'être...
Merci à toi.
Bises